20 ANS DE GAINS POUR LA NATURE ET LA COLLECTIVITÉ: LA NAISSANCE DE CORRIDOR APPALACHIEN

Corridor appalachien est un organisme de conservation voué à la création d’un vaste réseau d’aires protégées à perpétuité. Fondé en 2002, l’organisme a contribué à la protection de plus de 15 500 hectares de terrains en œuvrant étroitement avec Conservation de la nature Canada, ses 17 membres affiliés ainsi que plusieurs bailleurs de fonds et donateurs. À l’occasion de ses 20 ans, nous profitons de l’atteinte de cet important jalon afin de faire un retour sur les moments, les gens et les lieux qui ont marqué deux décennies de gains pour la nature et les collectivités.

Dans cet article, Louise Gratton, biologiste et co-fondatrice de Corridor appalachien, nous parle des personnes et des circonstances qui ont mis la table pour la création d’une vision commune pour la conservation de notre vaste territoire, soit les précieuses Appalaches du sud du Québec.

Les co-fondatrices de Corridor appalachien : Francine Hone, Terri Monahan, Louise Gratton.
(Photo : Marie-José Auclair)

Par Louise Gratton, biologiste et co-fondatrice de Corridor appalachien

Le début de Corridor appalachien est une histoire parsemée de nouvelles amitiés, d’évidences, de coïncidences et de science.

Il faut se rappeler que, déjà en 1991, le ministère des Loisirs, de la Chasse et de la Pêche avait retenu la région des monts Sutton comme projet potentiel dans un réseau de parcs régionaux dont il avait le mandat d’établir.

Soutenus par le Fonds mondial pour la nature (WWF) dans le cadre de la campagne Espaces en danger, le Parc d’environnement naturel de Sutton (PENS) avec la collaboration des organismes de conservation (1), propose la création d’un parc régional éclaté (2) et dépose un plan prévisionnel de sa mise en œuvre (3). La plupart des territoires concernés pour ce projet sont de tenure privée contrairement aux autres projets de parcs régionaux, tous en terre publique. Le défi était de taille et sa réalisation compromise. Le terreau pour qu’un projet de conservation voit le jour dans la région restera fertile.

On ne peut lier l’origine de Corridor appalachien à un seul évènement mais plutôt à un concours de circonstances.

Voici les principales :

  • Justin Manasc de For-éco avait effectué des travaux sylvicoles sur l’une des propriétés de la Fiducie foncière de la Vallée Ruiter (FFVR). Il recommande mes services à Terri Monahan, alors présidente de la FFVR, pour réaliser des panneaux d’interprétation le long des sentiers. C’est mon premier contrat local depuis que je me suis installée dans la région à l’été 1997. Terri et moi sommes rapidement devenues amies et ce faisant, au cours des années suivantes, je pris connaissance de l’existence dans la région de plusieurs autres fiducies foncières, du PENS et de leurs extraordinaires missions.

 

  • À cette époque, je siégeais sur le conseil d’administration de Nature Canada où je côtoyais Peter Lee de l’organisme Forest Watch Canada. Un jour, il me montra une carte de l’état des forêts au Canada illustrant les massifs forestiers non fragmentés de plus de 100 km2. Dans le sud-ouest du Québec, il n’en restait plus que deux : un grand bloc forestier au nord du Parc national du Mont-Orford et le massif des monts Sutton, situé dans ma cour. À l’instar des organismes qui l’avaient compris bien avant moi, je reconnais l’incroyable potentiel de ce vaste écosystème forestier sur le plan de la biodiversité.

 

  • Au début des années 2000, j’en parle avec Nathalie Zinger, alors directrice du bureau de WWF-Québec, pour lui faire part de ce constat. Bon timing : Elle s’apprête à relancer la conservation dans la région des monts Sutton dans le cadre de la campagne « Espaces en danger ». Je me porte volontaire pour réunir les représentants des fiducies et du PENS chez moi. Lors de cette rencontre, elle est accompagnée de Francine Hone, consultante en conservation pour le WWF. Tous s’entendent pour redémarrer un projet davantage axé sur la protection de ce site prioritaire du Québec méridional.  Le WWF  accorde un premier financement à la FFVR pour décrire les enjeux et priorités de conservation dans le massif des Monts Sutton (4). Ce rapport repose sur les critères développés par un réputé biologiste de la conservation de la scène internationale, Reed Noss (5), pour le maintien de l’intégrité écologique dans un réseau représentatif d’aires protégées. Un document complémentaire, préparé pour Conservation de la nature Canada, identifie déjà les propriétés qui pourraient constituer les premières acquisitions.

 

 

En apprivoisant les notions de la toute nouvelle science qu’est la biologie de la conservation, il devient évident que la seule protection du massif des monts Sutton ne sera pas suffisante. C’est ainsi qu’en parallèle, la FFVR soumet une proposition (6) aux bailleurs de fonds pour financer la mise en œuvre d’un projet de conservation plus ambitieux.

Avec l’appui de la FFMP, FFMA et du PENS, un objectif pour la région s’y dessine :

Il s’agit de l’une des dernières régions sauvages de l’extrême sud du Québec où on trouve encore de grands massifs boisés non fragmentés essentiels au maintien des populations viables d’espèces qui dépendent pour leur survie de vastes territoires naturels et les seuls habitats capables pour plusieurs espèces d’oiseaux et de mammifères plus exigeantes en ce qui a trait aux habitats forestiers. En prenant en considération le corridor naturel qui s’étend des montagnes Vertes du Vermont aux monts Sutton du Québec, il s’avérait possible de créer des aires protégées suffisamment grandes pour satisfaire les exigences de ces espèces et d’assurer la connectivité entre elles afin d’y favoriser les échanges (migration, dispersion, flot génétique) essentiels à la viabilité des populations.

L’idée d’une stratégie de conservation transfrontalière (6), inspirée de l’initiative Yukon to Yellowstone dans l’ouest, est donc lancée. Inspiré de la renommée Appalachian Trail, l’organisme voué à la conservation du corridor naturel chevauchant la chaîne de montagnes des Appalaches adopte le nom de « Corridor appalachien » et sa fondation est officialisée en 2002.

Ce projet du « Corridor appalachien », qui initialement était porté par la Fiducie foncière de la Vallée Ruiter, était dorénavant prêt à voler de ses propres ailes.

 

NOTES

(1) FFVR, FTLB, FFMP, FFMA et les autres participants de Table régionale de concertation des groupes écologistes

(2) Côté, É, J. Manasc et D. Paquette, 1993. Une région…un parc. Parc d’environnement naturel de Sutton, Inc., 20 p.

(3) Parc d’environnement naturel de Sutton, 1996. Parc régional éclaté dans la grande région des monts Sutton : Plan prévisionnel. 67 p.

(4) Gratton, L., T. Monahan et J. Manasc, 2000. Enjeux et priorités de conservation dans le massif des Monts Sutton. Une évaluation préliminaire. Fiducie foncière de la Vallée Ruiter, 23 p.

(5) Noss, R. 1995. Maintaining ecological integrity in representative reserve networks. A World Wildlife Fund-Canada/ World Wildlife Fund-United States Discussion Paper,77 p.

(6) Fiducie foncière de la Vallée Ruiter, 2000. Corridor appalachien. Une stratégie de conservation transfrontalière, 17 p.