UN ÉTÉ MÉMORABLE POUR DEUX BIOLOGISTES EN HERBE ET 16 BÉBÉS TORTUES

Récit par Marie-Pierre Fortier

En novembre 2016, nous avons acheté une propriété en Estrie. Amants de la nature, nous avons eu un coup de cœur pour ses 16 acres de forêt et son petit lac privé que nous partageons depuis avec une panoplie d’amis rampants, nageurs, marcheurs et volants! Chaque rencontre ou observation nous incitant à nous documenter sur eux.

 

Lors de notre premier printemps ici en 2017, nous avons suspecté qu’une tortue avait élu domicile dans notre lac, car un ancien nid, logé sur une petite plage sablonneuse qui borde le lac, avait été creusé, vraisemblablement par des ratons, et on y voyait clairement des résidus de coquilles d’œufs de tortue. Nous en avons eu la confirmation un peu plus tard durant l’été, lorsqu’une tortue de bonne taille a plongé à l’eau sous nos yeux. Comme elle était trop loin et trop rapide, nous n’avons pu identifier l’espèce ni la photographier. Plus tard, une petite tortue serpentine s’est promenée près de la maison…mais ça ne pouvait être celle du lac.

Les biologistes en herbe, Marie-Pierre et son conjoint, Richard St-Pierre.

L’été suivant en 2018, nous avons observé de façon impromptue, la tête d’une tortue, fort probablement serpentine, toujours de bonne taille, qui émergeait de l’eau mais sans pouvoir le documenter.

Arrive notre troisième été en 2019, la rencontre est officielle! En faisant des promenades autour du lac, nous repérons clairement une tortue serpentine adulte qui prend du soleil sur un îlot rocheux au centre du lac. Mieux encore, en pagayant doucement sur notre planche, nous l’avons vue sous l’eau et après nous être immobilisés, notre patience a été récompensée par une salutation de sa part à moins d’un mètre.

Ce même été, alors que les jeunes enfants de nos invités jouaient dans le sable près du lac, l’un d’eux nous dit fièrement avoir trouvé un coquillage…un coup d’œil suffit pour réaliser qu’il s’agit d’un œuf contenant un embryon de tortue…nous sommes en août. Dans les secondes qui suivent nous colmatons la brèche dans le sable, soulagés qu’aucun autre œuf n’ait été exposé. Nous protégeons la zone et mon conjoint qui expérimentait avec des panneaux solaires, utilise cette source d’énergie pour alimenter une caméra 24h/24 pour veiller sur le nid. Avec tristesse, l’arrivée du mois d’octobre nous oblige de conclure que le petit miracle ne se produira pas.

 

Le système de caméras qui a permis de capter la naissance.

Au printemps 2020, encore une fois, gracieuseté d’un raton qui a creusé, nous retrouvons dans le sable, là où le nid se trouvait, des débris de coquilles mais aussi de petits ossements et des ébauches de carapaces…Sachant le faible taux de survie et les chances d’aboutissement à l’âge adulte d’une petite serpentine, nous vivons un petit deuil.

Qu’à cela ne tienne, le 11 juin dernier, un remue-ménage inhabituel dans le sable près du lac attire notre attention. Oh joie! Un nouveau nid! Dans l’heure qui suit, 3 caméras sont installées. Une pour le nid et deux autres pour la berge. Nous décidons de n’ériger aucune barricade et de laisser l’habitat au naturel. On part le chrono : 60 à 90 jours à patienter! Tous les voisins et proches connaissant notre expérience passée sont dans l’expectative avec nous!

C’est le matin du 13 septembre, en vérifiant quotidiennement les images, qu’un trou unique et bien délimité nous donne espoir. On recule un peu la vidéo et ça y est! Enfin, une couvée est parvenue à terme. En bons biologistes en herbe que nous sommes, nous avons visionné deux fois plutôt qu’une les 45 minutes de l’éclosion afin de noter l’heure de chacune des émergences pour bien confirmer qu’il y en a eu 16. Nous avons répété le processus pour les deux autres caméras. Dix tortues sont entrées à l’eau sans équivoque, les autres l’ont fort probablement fait hors champ. Nous n’avons trouvé aucune petite égarée lors d’une inspection rigoureuse des alentours dans l’heure qui a suivi.

Nos lectures nous ont appris qu’une tortue serpentine tend à adopter un site de ponte…difficile de douter! Nous nous donnons donc la petite mission d’être les gardiens de la progéniture de notre tortue! Espérons toutefois que notre enthousiasme préservera les petites tortues de tous les prédateurs qui cohabitent autour du lac et que nous avons également observés via les mêmes caméras!

LE SAVEZ-VOUS?

La tortue serpentine est l’une des trois espèces de tortues qui est possible d’observer dans la région. Les milieux naturels de notre territoire abritent également la tortue peinte (marais, étang et lac) et la tortue des bois (ruisseau et rivière) qui est une espèce en situation précaire au Québec et au Canada.

Laissés à eux mêmes après la ponte, les nids de tortue sont vulnérable aux prédateurs, aux activités humaines et à la météo qui dicte la croissance et le développement des embryons. Seulement un faible pourcentage des œufs pondus mèneront à une tortue adulte, c’est la dynamique naturelle des populations de tortues qui s’opère, et ce depuis des milliers d’années.

Pour que cette stratégie de reproduction soit viable, il est toutefois important de maintenir une stabilité au niveau du milieu naturel en protégeant leurs habitats et en assurant la survie des tortues adultes, notamment en diminuant la mortalité sur nos routes.

CONSEILS DE CLÉMENT ROBIDOUX, DIRECTEUR DE LA CONSERVATION POUR CORRIDOR APPALACHIEN

« Pour ceux qui trouvent un nid, le mieux est souvent de rien faire comme nos biologistes en herbe. Lorsque le nid est problématique (sur le site d’une maison en construction, dans une entrée de cour, etc.), il est conseillé de contacter le représentant régional du MFFP qui pourra nous guider sur ce qu’il est possible ou non de faire. Mme Fortier et M. St-Pierre nous ont partagé un moment « magique » que peu d’entre nous avons eu la chance d’observer. Les gestes posés par chacun de nous pour la protection des tortues sont essentiels à la survie de l’espèce dans un monde maintenant dominé par l’homme. Ces gestes nous permettront également, je l’espère, d’observer ce beau spectacle encore et encore. »

VOUS AVEZ APERÇU UNE TORTUE AU QUÉBEC? PROJET CARAPACE VEUT LE SAVOIR!

Il n’est pas rare de voir des tortues se déplacer en dehors des milieux aquatiques. Durant leur saison active, de mai à octobre, les tortues se déplacent pour diverses raisons : trouver de la nourriture, changer d’habitat, trouver un partenaire pour s’accoupler ou pondre des œufs. Malheureusement, les déplacements impliquent une part de danger pour les tortues puisqu’en traversant des routes ou des milieux terrestres, elles sont très vulnérables aux collisions et aux dérangements.

C’est pourquoi l’équipe de Carapace a besoin de votre aide. Si vous voyez une tortue au Québec, veuillez-nous en informer en remplissant la fiche de signalement sur le site web https://carapace.ca.

Corridor appalachien est un fier partenaire régional du projet Carapace de Conservation de la Nature Canada. Nous remercions Marie-Pierre et Richard pour le signalement de leurs magnifiques observations!