09 Mai 20 ANS DE GAINS POUR LA NATURE ET LA COLLECTIVITÉ: LES PREMIERS PAS DE CORRIDOR APPALACHIEN
Corridor appalachien est un organisme de conservation voué à la création d’un vaste réseau d’aires protégées à perpétuité. Fondé en 2002, l’organisme a contribué à la protection de plus de 15 500 hectares de terrains en œuvrant étroitement avec Conservation de la nature Canada, ses 17 membres affiliés ainsi que plusieurs bailleurs de fonds et donateurs. À l’occasion de ses 20 ans, nous profitons de l’atteinte de cet important jalon afin de faire un retour sur les moments, les gens et les lieux qui ont marqué deux décennies de gains pour la nature et les collectivités.
Dans cet article, Louise Gratton, biologiste et co-fondatrice de Corridor appalachien, explique les moments qui ont suivi la fondation de l’organisme et mené à la création d’une vision commune pour la conservation des milieux naturels sur notre territoire d’action.
À gauche, on retrouve en rouge les aires protégées sur le territoire d’action de Corridor appalachien en 2002 et à droite, les gains additionnels en conservation réalisés sur 20 ans.
Par Louise Gratton, biologiste et co-fondatrice de Corridor appalachien
Quand les esprits se rencontrent
Au départ, l’ambitieux projet de protéger un corridor naturel allant des montagnes Vertes du Vermont jusqu’au-delà du Parc national du Mont-Orford était parsemé d’embuches.
En 2000, Francine Hone, alors consultante pour le Fond mondial pour la nature (WWF) se joint à moi et Terri Monahan, présidente de la Fiducie foncière de la vallée Ruiter (FFVR) et le projet bénéficie grandement de la complémentarité de nos expertises. Pour promouvoir le projet de corridor, elles conviennent d’organiser le 14 octobre 2000 un évènement au Centre de la Vallée Ruiter. Stansje Plantenga fournit gracieusement le local et de tous les membres du CA de la FFVR s’impliquent dans la logistique.
Au programme : une visite de propriétés ciblées pour la conservation, une conférence sur la biologie de la conservation, l’intendance privée[1] et le projet de Corridor appalachien suivie d’un repas préparé, entre autres, par les frères Herman. Étaient présents non seulement les organismes de la région, les municipalités du Canton de Sutton[2], du Canton de Potton et le WWF, mais aussi Conservation de la nature Canada (CNC), la Fondation EJLB, le Service canadien de la faune d’Environnement Canada, le ministère de Faune et des Parcs du Québec, la compagnie forestière Domtar Inc. et le parc Mont-Glen Inc. Le ministère de l’Environnement est absent mais la FFVR reçoit une lettre d’encouragement de la part du directeur du Patrimoine écologique, Léopold Gaudreau. L’évènement connait un franc succès mais, malgré son fort potentiel, le projet est poliment qualifié de très ambitieux en raison du peu de connaissances sur la faune et la flore en danger du territoire.
Nous n’avions pas dit notre dernier mot.
La promotion de Corridor appalachien
Terri et moi multiplions les rencontres. En décembre, le projet est présenté à la ministre du Patrimoine canadien, Sheila Copps, en compagnie de Denis Paradis, député. Une autre rencontre s’organise avec son frère, Pierre Paradis, alors député provincial dans Brome-Missisquoi. Un communiqué de presse trouve preneurs auprès des médias et m’amène à donner des entrevues à la radio locale et nationale.
Nathalie Zinger de la WWF suggère alors de soumettre le projet à la Fondation Kendall basée à Boston. Une rencontre cruciale est organisée au début 2001 dans les bureaux de la Fondation EJLB à Montréal. La Fondation Kendall y est représentée par nul autre que Harvey Locke, co-fondateur de l’initiative Yukon to Yellowstone (Y2Y) dans l’ouest canadien. La vision du Wildlands Project[3] est de créer un corridor sur la côte Est de l’Amérique du Nord, à l’image de celui dans les Rocheuses sur la côte Ouest. Reconnaissant sa solide base scientifique, le projet de Corridor appalachien est accueilli avec enthousiasme. Les deux fondations sont les premières à nous financer. La fondation George Cedric Metcalfe nous soutiendra à son tour. Harvey Locke admettra que l’élément décisif de son appui est l’engagement et le pragmatisme des deux représentantes de la FFVR qui lui confient qu’au moins 40 ans seront nécessaires pour mettre en place un corridor naturel protégé dans la région.
Le projet prend véritablement son envol
Dans le cadre du Programme d’aide relatif aux priorités en environnement, le ministère de l’Environnement du Québec finance le projet. Deux facteurs favorisent cette décision : le fait que trois fondations privées appuient financièrement le projet et la clairvoyance du directeur du patrimoine écologique, Léopold Gaudreau, qui connaît bien la FFVR.
Au printemps suivant, c’est un branlebas de combat. Des consultants en botanique, herpétologie, ornithologie sillonnent le territoire pour documenter des secteurs ciblés pour la conservation. En août, la région des Monts-Sutton est l’hôte du blitz botanique organisé par le ministère de l’Environnement et FloraQuebeca. Les richesses floristiques et fauniques du territoire se dévoilent.
Le « timing » est plus qu’excellent. Le gouvernement du Canada lance à l’automne 2001 le Programme pour l’intendance de l’habitat des espèces en péril, le PIH. La très élaborée demande de financement comprend l’acquisition de connaissances, des stratégies de conservation sectorielles, le développement de partenariats et surtout, la négociation d’ententes de conservation. Le jury, présidé par Yvon Mercier du Service canadien de la Faune d’Environnement Canada, est impressionné par la qualité et l’ampleur du projet et des appuis déjà acquis pour sa réalisation. En effet, outre le soutien financier de plusieurs fondations et du ministère de l’Environnement, un important fonds d’appariement vient de CNC pour réaliser les premières acquisitions. Le financement est accordé. Au total, le projet se chiffre à près de 2 M$.
Dans l’année qui suit, un premier don écologique déjà dans la mire de CNC, celui d’Élisabeth et de Victor Allistone, se concrétise. L’acquisition la propriété Jonhston et des terrains du Canton de Sutton sur le Round Top est aussi conclue, cette dernière avec la collaboration de la municipalité. Des démarches sont entreprises sur une quinzaine d’autres propriétés dont plusieurs sur les territoires visés par la FFVR et la Fiducie foncière du Mont Pinacle (FFMP). Plusieurs organisations et partenaires américains sont aussi rencontrés pour partager notre vision d’une stratégie transfrontalière. Les liens développés seront très profitables à long terme.
Devant l’envergure que prend le projet, jusqu’alors parrainé par la FFVR, les membres du conseil d’administration conviennent qu’il serait préférable de constituer un organisme indépendant de la Fiducie, dont le territoire d’action sera beaucoup plus étendu.
De gauche à droite: Francine Hone, Terri Monahan et Louise Gratton.
Photo par Marie-José Auclair.
Corridor appalachien obtient en décembre 2002 son statut d’organisme à but non lucratif. Un conseil provisoire est constitué en octobre, avec Louise Gratton comme présidente, Francine Hone, vice-présidente et Terri Monahan, secrétaire. Dès le mois de mai 2003, Louise Gratton est remplacée à la présidence par Nathalie Zinger, qui deviendra par la suite directrice générale de Conservation de la Nature Canada – Québec. Terri Monahan se retire du conseil d’administration pour devenir la première directrice générale de Corridor appalachien. La même année, Clément Robidoux se joindra à l’équipe à titre de directeur adjoint et Marie-José Auclair sera entérinée au conseil d’administration. Le statut de bienfaisance sera accordé à Corridor appalachien en 2004. Son principal objectif : « Protéger les milieux naturels et les paysages de la région des Appalaches afin de préserver leur intégrité écologique et esthétique, pour le bénéfice des membres des communautés locales et du public en général ».
NOTES
(1) L’intendance privée, traduction de Land Stewardship, fut éventuellement remplacée par conservation volontaire pour désigner l’acquisition de terres privées par des organismes de conservation.
(2) Avant la fusion du Canton de Sutton et du village de Sutton pour devenir la Ville de Sutton.
(3) Aujourd’hui le Wildlands Network.